Hajar Malekian, “La libre circulation et la protection des données à caractère personnel sur internet”, thèse de droit public, Panthéon-Assas (Paris II), dir. Olivier de Frouville, 2017, 450 pages Catherine Puigelier, Professeur à l’Université Paris Lumières (Paris VIII) |
À l’ère du numérique, qui ne ressent avec un peu d’inquiétude la question de la protection des données personnelles ? L’on y pense, puis on oublie, empreintes digitales, reconnaissance vocale ou faciale pour déverrouiller un téléphone… Au fil du clavier et des écrans, des données anodines ou plus personnelles sont égrenées, et progressivement gravées dans le marbre de la toile… L’enjeu de la protection des données personnelles est ainsi inscrit dans notre quotidien, appelant une réflexion juridique qui transcende les frontières du droit privé et du droit public. C’est pourquoi la thèse d’Hajar Malekian relative à « La libre circulation et la protection des données à caractère personnel sur internet » intéresse autant le droit privé que le droit public. Il s’agit d’un travail technique et solide rappelant que la protection des données à caractère personnel constitue un droit fondamental autonome au sein de l’Union européenne. Une première partie étudie la recherche d’un équilibre dans le cadre des plateformes en ligne puis une deuxième partie étudie la recherche d’un équilibre dans le cadre du traitement des données par le secteur privé. Les responsabilités des acteurs de plateformes en ligne sont examinées avec soin au regard de différentes directives et du règlement (UE) 2016/679. L’auteur arpente plus exactement les chemins sinueux d’un droit du numérique dans lequel les frontières ou mécanismes habituels de rattachements juridiques peuvent s’avérer flous ou incertains. L’étude doctorale traite (notamment) du régime de la responsabilité des plateformes en ligne en cas de contenus illicites allant à l’encontre de la réputation de l’individu en ligne (la thèse, p. 18) ou (à l’ère du Big Data et des algorithmes dotés d’intelligence artificielle) des risques présentés par la pratique de la collecte, la conservation et l’exploitation des données par le secteur privé (la thèse, p. 18). Le manuscrit est – on le voit – courageux et riche de mots ou concepts ayant trait à l’économie numérique, l’informatique en nuage, la transparence de l’algorithme, l’archivage électronique… sans que l’auteur ne perde le fil de sa pensée ou qu’il n’égare (en raison de l’importance des points étudiés) son lecteur. Moteurs de recherches en ligne, services de partage de contenus en ligne, libre circulation des données, services de la société de l’information, protection des données, collectes des données, conservations des données, exploitations des données par le secteur privé… sont étudiés à la lumière du droit ou remodelés par l’outil juridique. La thèse présente par suite plusieurs points de notre droit en évolution. D’une part, le droit du numérique ouvre la porte à une disparition progressive de la distinction du droit public et du droit privé. Les repères habituels de la personne publique ou de la personne privée restent en retrait d’un droit qui avance, bouscule, construit. D’autre part, le droit du numérique ouvre les frontières des États, des disciplines, des temps. Il n’est plus toujours possible de raisonner en termes de droit international public ou en termes de droit international privé. Il n’est possible que de raisonner en termes de réseaux ou d’algorithmes, en termes d’immédiateté ou de soudaineté. Être en ligne c’est se projeter dans le monde entier en faisant fi des espaces d’heures ou de jours rassurants de notre droit français. Que deviennent alors la suspension, l’interruption, la prescription ou la caducité en compétition avec les microprocesseurs ou les puces informatiques (V. à cet égard, M. Démoulain, Nouvelles technologies et droit des relations de travail. Essai sur une évolution des relations de travail, préf. de B. Teyssié, éd. Panthéon-Assas, 2013) ? Être en ligne c’est également se projeter dans le monde entier en faisant fi des espaces discursifs ou de pensées rassurants de notre droit français. Que deviennent alors la conscience, le discernement, l’équité ou l’intime conviction en compétition avec l’intelligence artificielle ou l’imagerie cérébrale (V. à cet égard, F. Jouen, C. Puigelier et C. Tijus (dir.), Conscience et droit. Conscience du droit et droit de la conscience, éd. Mare et Martin, coll. « Sciences cognitives et droit », 2018) ? C’est au fond du langage juridique dont parle Hajar Malekian au sein de ses recherches doctorales sur la libre circulation et la protection des données à caractère personnel sur internet. Notre droit français et notre droit européen doivent s’adapter à une mondialisation de l’informatique qui aboutira sans doute à une mondialisation du droit. L’hyperpuissance de l’informatique amène à une hyperpuissance du droit ou tout au moins à des règles centralisées pour maîtriser autant que faire se peut une technologie envahissante (G. Berry, L’Hyperpuissance de l’informatique. Algorithmes, données, machines, réseaux, Odile Jacob, 2017). Comme le relève l’auteur de la thèse rapportée, la protection des libertés publiques (et notamment la protection de la vie privée) est (ou sont) au centre d’un monde de l’intelligence artificielle dans lequel les notions de loyauté, d’exactitude, de traces… présentent des caractères inédits ou complexes. La sécurité informatique est ici fragile. Gérard Berry (professeur au Collège de France) écrit que : « On ne sait toujours pas mettre au point un vote électronique à grande échelle vraiment sûr. Aucune technologie n’est inviolable » (G. Berry, Le savant qui explore l’hyperpuissance informatique, in Le Point, 26 oct. 2017, p. 55). Les ordinateurs sont piratés et les langages informatiques sont nombreux. Gérard Berry ajoute que : « Les langages évoluent par le changement de nature des applications. Au début, on ne faisait que du calcul numérique. Après, il y a eu les calculs symboliques : calculer sur des textes, par exemple. Puis il y a eu la programmation distribuée pour agir avec plusieurs machines en même temps, et le Web. Aujourd’hui, l’apprentissage automatique s’appuie sur de nouveaux dialectes » (G. Berry, Le savant qui explore l’hyperpuissance informatique, préc., p. 101). Or comment dans ces temps à vif parvenir à maintenir un équilibre entre le marché numérique et la protection des données de vie privée ? C’est tout l’objet du travail doctoral que d’en cerner les contours et de mettre en avant que le droit peut n’être (parfois) qu’une affaire de mots ou de langages (C. Tiercelin, À quoi tient la force d’une idée ?, in Histoire et historiens des idées (ss la dir. d’A. de Libera et A. Compagnon), organisé par D. Simonetta et A. de Vitry, Paris, Collège de France, 2016). Les mots du droit français sont « tronçonnés par l’accélération numérique » (expression empruntée à L. Dupont et T. Mahler, Qui en veut à la langue française ?, in Le Point du 26 oct. 2017, p. 55). Ils « raccourcissent » de sorte que la théorie générale du droit (ou le droit tout court) semble(nt) également raccourcir tout en aspirant à une centralité (une centralité nationale, une centralité européenne ou une centralité mondiale ; C. Rodière-Rein, Naissances inconscientes du droit, Gallimard, 2017). Que signifie dans ces conditions le mot « centralité » en droit de l’intelligence artificielle (ou en droit de l’hyperpuissance informatique ? ou que signifie un droit mondial de l’informatique) ? Sans doute un paradoxe entre la norme et la technologie numérique, peut-être un mot impossible à définir, un mot dangereux, un mot qui tue (V. Azoulay et P. Boucheron (dir.), Le mot qui tue. Une histoire des violences intellectuelles de l’Antiquité à nos jours, Époques Champ Vallon, 2009) ? Le mot est consubstantiel à la liberté d’expression qui est elle-même enveloppée de la part du secret de la vie privée ainsi que de celle de la transparence de la vie publique. La centralité – objet du beau travail doctoral – est donc un mot contraire du droit (ou un mot contradictoire du droit) à partir duquel il importera d’établir un équilibre. La tâche est – on l’a compris – immensément difficile. Elle l’est d’autant plus qu’il est question d’une information de masse ou de métadonnées. Hajar Malekian nous invite – puisqu’il est question de mots qui raccourcissent ou qui tuent (en paradoxe avec des mots qui se diffusent partout) – à nous poser des questions comme : 1. Existe-t-il des sciences cognitives indispensables au droit du numérique ? 2. Existe-t-il un point au-delà duquel l’informaticien est incapable de comprendre ce qu’il advient des données accumulées ? 3. Existe-t-il une logique de causalité et une logique de corrélation en droit du numérique ? (la thèse, p. 342). L’auteur prouve que les mathématiques ne sont jamais loin du droit ou qu’elles aident à le comprendre. La thèse invite peut-être également à une réflexion sur la résistance du Juste face à l’inéluctable de la machine … |
Pour un devis ou pour toute autre question :
cabinet@malekian-avocat.fr